La Lettre du Collège de France no 31, Paris, Collège de France, juin 2011, p. 48-51, ISSN 1628-2329.
Référence électronique
Jacques Bouveresse et Marc Kirsch, « Entretien avec Jacques Bouveresse », La lettre du Collège de France [En ligne], 31 | juin 2011, mis en ligne le 25 novembre 2011, consulté le 03 décembre 2011. URL : http://lettre-cdf.revues.org/1234
Entretien avec Jacques Bouveresse
 Jacques Bouveresse et Marc Kirsch
| Légende | Pr Jacques Bouveresse | 
|---|---|
| URL | http://lettre-cdf.revues.org/docannexe/image/1234/img-1.jpg | 
| Fichier | image/jpeg, 954k | 
Comment analysez-vous 
votre parcours de philosophe ? Au Collège de France, partant de la 
logique et de la philosophie du langage, en 1995 (avec un séminaire sur 
les couleurs et la théorie de la perception), vous avez travaillé sur 
des auteurs du tournant du xixe et du xxe siècle,
 le Cercle de Vienne et Wittgenstein, vous êtes régulièrement revenu à 
la question de la perception, de la réalité, du temps, du langage, de la
 logique et des mathématiques, avez traité de la question des systèmes 
philosophiques, pour finir par une longue étude consacrée à Leibniz. Que
 signifie ce retour à Leibniz ?
Je ne sais pas s’il faut 
parler d’un retour. Leibniz est un auteur qui m’a toujours intéressé et 
que, d’une certaine façon, je n’ai jamais complètement perdu de vue. Mon
 intérêt pour lui est lié initialement, je crois, en grande partie à la 
lecture de la thèse d’Yvon Belaval, Leibniz critique de Descartes
 (1960), qui, pour moi, reste encore aujourd’hui une référence 
essentielle en matière d’études leibniziennes. Dans la confrontation 
entre Leibniz et Descartes, j’ai eu dès le début tendance à accorder une
 préférence très nette au premier, notamment à cause de son rapport à la
 logique et de la place déterminante qu’il lui octroie dans la 
conception et la construction de son système (il a dit de la logique 
qu’elle était le fondement de sa métaphysique), ce qui le situe à peu 
près aux antipodes de Descartes et également de Locke, qui soutiennent 
qu’au fond la logique ne nous sert à rien, surtout pour ce qui concerne 
la chose la plus importante, à savoir la découverte. Leibniz croit au 
contraire à l’importance et à la fécondité de la logique, aussi bien 
pour la philosophie que pour les mathématiques et la science en général.
 D’une façon qui ne vous surprendra sûrement pas, j’ai découvert 
réellement Leibniz à peu près au moment où j’ai commencé à m’intéresser 
de près à la logique moderne, dont il est parfois considéré comme le 
véritable père et qui est une discipline que j’ai enseignée pendant de 
nombreuses années aux étudiants de philosophie. Corrélativement, j’ai 
été enclin, probablement, à faire preuve d’une certaine injustice envers
 Descartes (je me souviens de m’être fait sermonner, à juste titre, sur 
ce point par Jules Vuillemin).
Votre attitude envers Descartes est-elle toujours la même aujourd’hui ?
Non, j’ai changé 
d’attitude quand j’ai recommencé à le lire réellement, et en particulier
 quand j’ai dû, en 1996, à l’occasion de la célébration du quatrième 
centenaire de sa naissance, donner plusieurs conférences sur lui. J’ai 
d’ailleurs fait une expérience du même genre avec un certain nombre 
d’autres philosophes, comme par exemple Nietzsche, Husserl et même, 
d’une certaine façon, Heidegger : quand vous réussissez à les lire 
eux-mêmes directement, en oubliant à peu près complètement et ce qu’on 
vous a enseigné (ou essayé de vous enseigner), et surtout ce que le 
comportement des dévots et des idolâtres peut faire pour les rendre peu 
attirants et même franchement antipathiques, ils deviennent tout d’un 
coup beaucoup plus intéressants. Aujourd’hui, il n’y a plus guère de 
philosophes, traditionnels ou contemporains, dont je n’aie pas 
l’impression de pouvoir apprendre quelque chose d’important, qui 
peut-être m’avait échappé jusqu’à présent. Bien entendu, certains 
d’entre eux ont été et restent, pour moi, beaucoup plus essentiels que 
d’autres. 
Comme, par exemple, Leibniz ?
Oui, incontestablement. 
J’avais déjà décidé en fait, au moment où je suis entré au Collège de 
France, en 1995, de lui consacrer ma dernière ou mes deux dernières 
années de cours. Il y a, en particulier, un problème sur lequel je 
réfléchis depuis longtemps et que je souhaitais regarder de plus près à 
travers lui : celui de la compatibilité du déterminisme avec la liberté.
 Je fais partie de ceux qui, contrairement à Popper (et un bon nombre 
d’autres philosophes), pensent que la liberté n’est pas nécessairement 
plus facile ou moins impossible à concilier avec l’indéterminisme 
qu’avec le déterminisme. 
Leibniz soutient, pour sa
 part, que le futur est tout aussi déterminé que le passé et que même 
nos actions les plus libres sont aussi déterminées que les autres, ce 
qui ne les empêche pas de rester malgré tout libres et nous-mêmes d’en 
être responsables. 
J’ai essayé de réaliser, 
en fait, ces deux dernières années le projet que j’avais depuis des 
années de m’intéresser non seulement à la théorie de la nécessité et de 
la contingence que défend Leibniz, telle qu’elle est comprise et 
discutée actuellement, mais également à sa philosophie morale, qui est 
bien plus subtile et plus profonde qu’on ne le croit généralement et 
mérite tout à fait, même après la révolution que Kant est censé avoir 
effectuée, d’être prise au sérieux. Leibniz n’est pas seulement un 
théoricien hors pair. Sa philosophie pratique est également du plus haut
 intérêt ; et il est à mes yeux, en plus de tout le reste, un grand 
philosophe moral et un grand moraliste.
Pour ce qui est de la 
question que vous me posez à propos du jugement que je suis enclin à 
formuler sur le parcours philosophique que j’ai effectué, notamment 
depuis mon entrée au Collège de France, je pense que j’ai réalisé à peu 
près le programme que je m’étais fixé, à une exception près : j’ai été 
tellement accaparé par d’autres choses que je n’ai pas trouvé le temps 
nécessaire pour revenir sur une question à laquelle j’avais commencé 
depuis un bon nombre d’années à m’intéresser de près : celle de la 
théorie et de la philosophie des probabilités. Il faut dire que la 
préparation d’un cours au Collège de France exige un travail 
considérable et que, si vous décidez, comme je l’ai fait, de consacrer 
plusieurs années d’enseignement à des penseurs aussi difficiles et aussi
 mal connus que Boltzmann ou Gödel, cela ne vous laisse pas beaucoup de 
temps pour faire d’autres choses.
Diriez-vous que votre 
intérêt pour l’histoire de la philosophie est devenu, au fil des années,
 plus grand qu’il ne l’était au départ ?
Oui, en un sens. Le fait 
que j’ai terminé mes années d’enseignement au Collège de France par un 
cours sur Leibniz pourrait donner un peu l’impression que j’ai fini par 
aboutir là où je cherchais plutôt à éviter d’aller, à savoir dans 
l’histoire de la philosophie. Pour comprendre ce qui s’est passé, il 
faut se souvenir que j’ai été engagé, au début de mon parcours, dans une
 bataille assez rude pour faire reconnaître l’existence et l’importance 
de la philosophie analytique – c’était une époque où il était courant 
d’entendre des gens très sérieux nier purement et simplement qu’il 
puisse y avoir une quelconque philosophie digne de ce nom dans les pays 
anglo-saxons. Et il se trouve qu’une des déficiences les plus graves qui
 étaient reprochées à la tradition analytique en philosophie était le 
caractère anhistorique de sa démarche et sa tendance, réelle ou 
supposée, à estimer qu’il n’est pas nécessaire, pour philosopher de 
façon sérieuse, de commencer par s’intéresser de près au passé de la 
philosophie. J’ai passé moi-même des années, au début, à découvrir 
l’état réel de la philosophie de notre époque et à travailler 
essentiellement sur des auteurs contemporains ou relativement récents 
dont pratiquement personne ne parlait en France. J’ai, du même coup, 
probablement un peu oublié les classiques et j’avais tendance à 
considérer que, si les philosophes analytiques n’accordaient sans doute 
pas une importance suffisante à l’histoire de la philosophie, la 
philosophie française, dont c’était incontestablement le point fort, 
comme l’était aussi, par ailleurs, l’histoire des sciences, lui 
attribuait, pour sa part, une place passablement exagérée, à tel point 
que la philosophie pouvait donner l’impression, dans l’Université en 
tout cas, de se réduire plus ou moins à l’histoire de la philosophie. 
Quand on parle d’histoire
 de la philosophie, il faut remarquer, du reste, que l’intérêt 
considérable qu’on lui porte en France n’a pas empêché l’histoire de la 
philosophie du xxe siècle de rester, encore aujourd’hui, extraordinairement mal connue et écrite de façon très partielle et partiale. 
C’est une des raisons 
pour lesquelles j’ai été amené à devenir moi-même un peu plus historien 
que je ne l’avais envisagé au départ.
Vous trouvez, en somme, à
 la fois que le poids de l’histoire de la philosophie est excessif et 
qu’elle est loin de faire, dans tous les cas, ce qu’on est en droit 
d’attendre d’elle.
Oui, on peut dire les 
choses de cette façon. À l’époque dont nous parlons, je trouvais en tout
 cas complètement insupportable l’idée qu’il faille se résigner à 
remplacer, implicitement ou explicitement, la philosophie, dont on nous 
annonçait de divers côtés la fin, par son histoire (ou, dans un genre 
différent, mais pas moins historique, par la déconstruction de la 
tradition dans laquelle elle s’est incarnée) et je n’acceptais pas du 
tout non plus l’idée d’abandonner la philosophie des sciences, comme 
certains le proposaient également, au profit de la seule histoire des 
sciences, aussi importante que puisse être celle-ci. Cela me semblait 
une façon désastreuse de renoncer à toute espèce d’ambition proprement 
philosophique. Pour résumer, une des choses que je reprochais à la 
philosophie française et qui est certainement loin d’avoir disparu 
aujourd’hui était l’impression qu’elle donnait un peu trop souvent que 
le traitement approprié d’un problème philosophique est essentiellement 
celui qui consiste à en faire l’histoire, et non à se demander s’il peut
 être résolu et de quelle façon. J’appréciais évidemment, par contraste,
 l’attitude des philosophes analytiques, qui semblaient convaincus que 
les problèmes philosophiques doivent pouvoir être résolus et que l’on 
peut espérer disposer aujourd’hui de moyens plus appropriés pour 
parvenir à les résoudre. De ce point de vue, c’étaient eux, et non les 
philosophes « continentaux », comme on les appelle, qui me paraissaient 
être les héritiers les plus fidèles de la tradition. Eux, au moins, 
n’étaient pas hantés par le spectre d’une fin possible ou peut-être même
 déjà arrivée de la philosophie, et du remplacement inévitable de 
celle-ci par des successeurs tels que les sciences humaines, la 
littérature, la poésie ou je ne sais quoi d’autre. Il faut se souvenir 
que c’était une époque où la compétition pour l’obtention du statut de 
discipline dominante et directrice, que la philosophie était censée 
avoir perdu, était rude. La linguistique, l’anthropologie, la 
psychanalyse, l’histoire ont à un moment ou à un autre fait partie des 
candidates qui avaient la faveur du pronostic. Tout cela paraît, bien 
entendu, assez ridicule aujourd’hui, où il n’est question que du 
renouveau de la philosophie, de sa situation plus florissante que jamais
 et de ses possibilités d’extension à peu près illimitées. La denrée 
philosophique et ses imitations et contrefaçons diverses ne se sont 
probablement jamais aussi bien vendues qu’elles le font depuis quelque 
temps.
Pour en revenir à la 
relation que j’ai entretenue et continue encore aujourd’hui à entretenir
 avec la tradition analytique en philosophie, je ne trouve pas 
scandaleux que l’on puisse penser que les problèmes philosophiques sont 
là pour être, si possible, résolus, et non pour donner du travail aux 
historiens, que même les plus grands philosophes de la tradition ont pu 
commettre des erreurs ou proférer des énoncés dénués de sens (cela 
n’oblige évidemment pas à affirmer qu’ils n’ont fait que cela) et qu’il 
n’y a pas de raison d’exclure totalement que nous puissions être, par 
rapport à eux, dans une position qui nous permet d’y voir plus clair sur
 la nature réelle des problèmes philosophiques et sur la façon dont on 
peut espérer réussir à les résoudre – ou sur les raisons pour lesquelles
 on n’y parvient pas. 
Vous avez toujours 
accordé une grande importance, en philosophie, à l’idée qu’il faut 
essayer de s’attaquer, de la façon la plus directe possible, à des 
problèmes déterminés, avec la volonté de les résoudre, et pas seulement 
de les discuter indéfiniment.
Wittgenstein est même allé jusqu’à dire, au début des années trente, que, dans la philosophie elle-même, il fallait être business-like, qu’il fallait que quelque chose soit fait, que quelque chose soit réglé.
 C’est le genre de déclaration qui ne peut évidemment que susciter 
l’indignation des philosophes de type traditionnel, qui pensent que des 
résultats précis sont à peu près la dernière chose que l’on puisse 
exiger d’une discipline comme la philosophie. Je n’irais sûrement pas 
aussi loin, sur ce point, que Wittgenstein a donné à certains moments 
l’impression de le faire, mais je pense qu’il y a bien un contraste 
important que l’on peut appeler, comme cela été fait parfois, celui de 
la « philosophie des systèmes » et de la « philosophie des problèmes ». 
La philosophie, dit Wittgenstein, ce sont d’abord les problèmes 
philosophiques ; mais, pour des philosophes comme Martial Gueroult et 
Jules Vuillemin, qui a été son élève, la réalité de la philosophie est 
d’abord celle des doctrines et des systèmes. Et il y a une pluralité 
irréductible de systèmes, et donc, pour les questions posées, de 
réponses que l’on ne peut pas espérer départager par une argumentation 
rationnelle, ce qui est bien, me semble-t-il, une façon de concéder que 
les problèmes philosophiques ne peuvent pas être résolus au sens auquel 
on a pensé la plupart du temps qu’ils devraient pouvoir l’être. 
J’ai mis du temps, je 
l’avoue, à comprendre l’importance cruciale de la question du pluralisme
 philosophique pour Vuillemin. Le pluralisme est une exigence qui, à ses
 yeux, n’a pas été respectée suffisamment non seulement par la 
philosophie analytique, mais également par la philosophie contemporaine 
dans son ensemble. Dans l’entretien qu’il a donné au Monde en 1984, au moment où il s’apprêtait à publier un livre que je considère personnellement comme un chef d’œuvre, Nécessité ou contingence, L’aporie de Diodore et les systèmes philosophiques,
 il dit que : « Rien ni du point de vue scientifique ni du point de vue 
moral ne nous force à opter pour une des classes de systèmes. Chaque 
classe offre des possibilités et des inconvénients, par conséquent des 
limites. Nous sommes obligés d’opter. Mais nous restons libres du choix.
 L’option faite, il faut en accepter les conséquences et les inévitables
 difficultés1. »
Je crois comprendre que, pour vous, cette conception laisse subsister un certain nombre de problèmes non résolus.
Oui, en effet. Il y a 
d’abord la question suivante : si ce n’est pas la raison, sous la forme 
d’arguments rationnels, qui décide du choix entre les systèmes, 
qu’est-ce qui le fait au juste ? Quand on aboutit à une conclusion comme
 celle de Vuillemin, on est obligé, je crois, d’en dire un peu plus 
qu’il ne le fait sur ce genre de question. Et on risque de se trouver 
obligé de faire intervenir tôt ou tard des éléments et des aspects qui 
ne relèvent plus de la philosophie, mais probablement plutôt de la 
psychologie, de la psychanalyse, de la sociologie, etc. Ce qui n’est 
sûrement pas très satisfaisant pour des gens qui, comme Gueroult et 
Vuillemin, tiennent à ce point à préserver l’autonomie de la 
philosophie, à la fois par rapport aux diverses sciences et en général. 
Et il y a, d’autre part, le risque d’être contraint d’admettre, dans le 
cas de la philosophie, une forme de relativisme et même de subjectivisme
 assez radical, s’il n’y a réellement pas de raisons objectives qui 
puissent justifier le choix que l’on fait. 
La question que l’on est 
obligé de se poser est celle de savoir si la seule raison sérieuse qu’il
 puisse y avoir d’accepter une philosophie est sa vérité supposée ou si 
elle devient vraie essentiellement par le fait d’être acceptée 
et seulement pour celui qui l’accepte.
Autrement dit, est-il 
possible ou non d’appliquer à la philosophie la notion de vérité dans un
 sens suffisamment proche du sens usuel ? Si on adopte un point de vue 
comme celui de Gueroult, on n’a guère de choix, semble-t-il, qu’entre 
dire que toute philosophie est vraie (en ajoutant toutefois une 
restriction du type « vraie dans sa propre sphère ») et dire qu’aucune 
ne l’est. Vuillemin et Granger, qui défendent tous les deux une 
conception non relativiste de la vérité, concluent de l’existence, en 
philosophie, d’une forme de pluralité qui est intrinsèque et n’a rien 
d’accidentel ou de provisoire, qu’il vaut probablement mieux renoncer à 
appliquer la notion de vérité aux énoncés de la philosophie. 
C’est une conclusion 
qui ne me satisfait pas vraiment, mais qui ne peut évidemment pas gêner 
ceux qui pensent, et il semble y avoir un nombre de plus en plus grand 
de gens qui le font, que la vérité n’est, de toute façon, pas ce qui 
compte, même dans les sciences, et que nous aurions même tout intérêt à 
nous débarrasser de notions comme celle de vérité. Comme je l’ai dit à 
maintes reprises, je ne crois rien de tel et je ne trouve 
malheureusement convaincant aucun des arguments qui sont utilisés 
– quand on ne se dispense pas purement et simplement de donner des 
arguments quelconques – à l’appui de ce genre d’assertion. Un bon nombre
 d’entre eux reposent même sur des confusions assez grossières. Mais, 
pour se rendre compte de cela, il faudrait sans doute consentir à sortir
 un peu plus de l’univers domestique confiné de la French Theory
 et à prendre réellement au sérieux des livres aussi remarquables que le
 dernier de ceux qui ont été publiés par Bernard Williams2. Quand on lit des ouvrages comme celui-là ou ceux de Michael Dummett3,
 où la question de l’« indispensabilité de la vérité » est traitée d’une
 façon qui n’a rien de rhétorique, on se dit que la réputation de la 
philosophie analytique n’est tout de même pas aussi usurpée que l’on 
s’efforce depuis quelque temps à nouveau de nous le faire croire. En 
parlant de « rhétorique », je veux dire notamment que, si la question de
 la vérité était réellement aussi importante pour Foucault qu’il l’a dit
 lui-même, on est tout de même un peu étonné de ne pas trouver trace 
dans ce qu’il en dit du travail de clarification et d’analyse 
considérable qui a été effectué, depuis Frege, sur cette question par 
les logiciens et les philosophes analytiques. En lisant les Leçons sur la volonté de savoir,
 qui viennent de paraître, je me suis senti obligé, malheureusement, de 
donner souvent raison à Jean-Marc Mandosio, qui écrit que « Foucault 
applique la recette traditionnelle de l’essayisme dans le goût 
français : revisiter de façon “brillante” des lieux communs en faisant 
primer la rhétorique sur l’exactitude4. »
 Je partage, de façon générale, assez peu le « goût français », mais je 
ne m’étonne pas, bien entendu, que la rhétorique séduise la plupart du 
temps nettement plus que l’exactitude. 
Notes
1  Didier Eribon, « L’effet Bachelard chez Jules Vuillemin », Le Monde aujourd’hui, dimanche 4 – lundi 5 mars 1984, p. XV.
2  Bernard Williams, Truth and Truthfulness. An Essay in Genealogy, Princeton University Press, Princeton and Oxford, 2002 ; traduction française de Jean Lelaidier, Vérité et véracité, Essai de généalogie, Gallimard, 2006.
3  Voir par exemple Michael Dumett, Truth and the Past, Columbia University Press, New York, 2004.
4  Jean-Marc Mandosio, Longévité d’une imposture, Michel Foucault,Paris Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2010, p. 23.
 
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