ISSN : 2269-5990

mercredi 2 mars 2011

revue Agone 44, Rationalité, vérité & démocratie

Rationalité, vérité & démocratie 
Ce numéro est issu du colloque « Rationalité, vérité et démocratie – Bertrand Russell, George Orwell, Noam Chomsky », organisé au Collège de France le vendredi 28 mai 2010. voir les Vidéos

L’habitude de fonder les opinions sur la raison, quand elle a été acquise dans la sphère scientifique, est apte à être étendue à la sphère de la politique pratique. Pourquoi un homme devrait-il jouir d’un pouvoir ou d’une richesse exceptionnels uniquement parce qu’il est le fils de son père ? Pourquoi les hommes blancs devraient-ils avoir des privilèges refusés à des hommes de complexions différentes ? Pourquoi les femmes devraient-elles être soumises aux hommes ? Dès que ces questions sont autorisées à apparaître à la lumière du jour et à être examinées dans un esprit rationnel, il devient très difficile de résister aux exigences de la justice, qui réclame une distribution égale du pouvoir politique entre tous les adultes.
Bertrand Russell (1961)


SOMMAIRE
Éditorial, Jacques Bouveresse
Russell, Orwell, Chomsky : une famille de pensée et d’action, Jean-Jacques Rosat
Pourquoi associer les noms de Russell, Orwell et Chomsky ? Quelles parentés y a-t-il entre leurs pensées mais aussi entre leurs engagements militants respectifs ? Quel genre de lumières pouvons-nous espérer d’eux sur le thème « Rationalité, vérité et démocratie » ? Il est largement admis que les tyrannies s’appuient sur le mensonge et les préjugés, et que la démocratie suppose l’existence d’un espace public des raisons où s’affrontent pacifiquement des citoyens éclairés. Mais il est largement admis aussi que le savoir confère habituellement à celui qui le possède une supériorité et une autorité sur celui qui ne le possède pas. Le relativisme, nous dit-on, garantit le droit des dominés et des minorités à défendre leur propre vision du monde. Certes, il peut arriver qu’il leur offre temporairement une protection efficace. Mais, fondamentalement, il est contradictoire avec tout projet d’émancipation car il dépossède les dominés des armes de la critique.
La vérité peut-elle survivre à la démocratie ?, Pascal Engel
L’une des raisons pour lesquelles la vérité et la démocratie ne semblent pas faire bon ménage est qu’on a tendance à confondre, d’une part, la liberté d’opinion et de parole avec l’égale vérité des opinions, ce qui revient à adopter une forme de relativisme, et, d’autre part, la règle de majorité avec une règle de vérité, ce qui revient à adopter une forme de théorie de la vérité comme consensus. Parce que la démocratie libérale repose sur le principe de la pluralité des valeurs et sur la neutralité axiologique, on a tendance à penser qu’elle exige de traiter toutes les opinions comme également respectables et, moyennant une confusion de plus, comme également vraies. Parce que la démocratie suppose la règle selon laquelle, en matière de décisions, la majorité doit l’emporter, on suppose que les opinions majoritaires ont le plus de chances d’être vraies, et qu’elles sont vraies parce qu’elles sont celles de la majorité.
Tout ça n’est pas seulement théorique. Notes sur la pratique d’une politique éditoriale, Thierry Discepolo
Comme producteur de « propagande », le métier d’éditeur tient une position paradoxale par bien des aspects. D’un côté, sa marque est bien visible sur le produit « livre » ; de l’autre, on est en droit de se demander ce qu’il fait. L’éditeur n’est ni l’auteur, qui a écrit le livre, ni l’imprimeur, qui l’a fabriqué. Pour une part, il est responsable de la mise en circulation de milliers de phrases ; pour une autre, il ne peut en réclamer la paternité – il ne les a pas écrites. Quelle légitimité cet intermédiaire a-t-il de revendiquer les idées que portent les livres inscrits à son catalogue ? Parce que, sans son travail, de telles idées ne pourraient être ­sorties de l’anonymat ? On donnera quelques éléments de réponse à ces questions à partir de la position spécifique de l’éditeur, un métier qui mêle ­indissociablement l’argent et les idées.
Bertrand Russell, la science, la démocratie et la « poursuite de la vérité », Jacques Bouveresse
Bertrand Russell est convaincu qu’une application stricte, par tout le monde, du principe selon lequel on doit s’efforcer de ne croire, autant que possible, que des choses vraies ou qui du moins ont des chances raisonnables d’être vraies, si elle introduirait assurément des changements importants dans la vie sociale et politique, n’aurait pas le genre de conséquences catastrophiques que l’on prédit généralement. L’illusion et le mensonge ne sont peut-être pas indispensables à la vie en société à un degré aussi élevé qu’on le croit la plupart du temps. Ils ne devraient en tout cas pas l’être dans des sociétés qui ont la prétention d’être réellement démocratiques.
La soif de pouvoir tempérée par l’auto-aveuglement, Noam Chomsky
Traduit de l’anglais par Clément Petitjean
Les doctrines du rationalisme économique qui, depuis une génération, constituent le discours dominant dans les sociétés avancées ont façonné les politiques menées, mais elles l’ont fait de manière sélective : une recette pour les plus faibles, une autre radicalement différente pour les puissants – en somme comme par le passé. Il ne semble pas injuste de dire que cette domination ne reflète ni une quelconque rationalité ni un attachement à la vérité, mais plutôt un engagement en faveur des privilèges et du pouvoir. Les conséquences sont immanquables. Alors qu’ils paraissent très riches en comparaison des autres pays, les États-Unis sont en train de revêtir certaines des caractéristiques structurelles des anciennes colonies, qui ont typiquement des secteurs incroyablement prospères et privilégiés au milieu d’un océan de souffrance et de misère.
Dialogue sur la science et la politique, Jacques Bouveresse et Noam Chomsky (entretien avec Daniel Mermet)
Que peut le bon sens comparé à ce que peut peut-être la connaissance scientifique ? Noam Chomsky a rappelé que le progrès des sciences a amené à se rendre compte que le bon sens, ou sens commun, pouvait se tromper de façon spectaculaire. La même chose n’est-elle pas susceptible de se passer en matière morale et politique ? Après tout, le sens commun un peu éduqué ne peut-il suffire pour nous procurer les lumières dont nous avons besoin pour l’action ? Pierre Bourdieu était évidemment convaincu que la connaissance procurée par les sciences sociales est finalement la seule qui soit susceptible de nous permettre de comprendre réellement les mécanismes qui engendrent l’inégalité, l’injustice, l’oppression, etc. [Jacques Bouveresse se souvient] d’avoir pris la défense de Noam Chomsky, au moins une fois, devant Bourdieu, parce que Chomsky avait écrit que comprendre comment opèrent ces mécanismes d’assujettissement et d’oppression qui engendrent l’inégalité et l’injustice n’est pas très difficile ; il suffit d’un peu de bon sens, de psychologie – et de cynisme, ajoutait-il.
LA LEÇON DES CHOSES
À propos de la « pensée (anti-)68 » selon Serge Audier, Alexander Zevin
Traduit de l’anglais par Clément Petitjean
Présenté par Philippe Olivera
Racisme, sexisme et mépris de classe, Walter Benn Michaels
Traduit de l’anglais par Natacha Cauvin
Notes prises en décembre 1981 et janvier 1982 lors des réunions à la CFDT et des conférences de presse en soutien à Solidarnosc, Pierre Bourdieu
Présenté par Franck Poupeau et Thierry Discepolo
HISTOIRE RADICALE
Au-delà du marxisme, de l’anarchisme et du libéralisme : le parcours scientifique et révolutionnaire de Bruno Rizzi, Paolo Sensini
Traduit de l’italien par Miguel Chueca
Présenté par Charles Jacquier


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